Formation d'étoiles et galaxies primordiales
En astrophysique, regarder plus loin revient à remonter le temps. La lumière se propage à une vitesse finie et prend un temps considérable pour nous parvenir des galaxies lointaines. L’image obtenue aujourd’hui vient d’un passé lointain, celui de leur jeunesse, peu après l’explosion géante initiale, le Big Bang, il y a 13,7 milliards d’années.
La décennie 1990 a été riche d’observations de galaxies lointaines avec le télescope spatial Hubble. Dans le vide spatial, ses images ont une excellente résolution, permettant de discerner des objets plus lointains, de reconnaître la forme des galaxies, de savoir si elles ont un bulbe ou un disque, d’en déterminer l’âge.
Depuis les travaux de l’Américain Hubble en 1929, on sait que l’Univers est en expansion : toutes les galaxies s’éloignent les unes des autres avec une vitesse proportionnelle à leur distance mutuelle, tels des grains de raisin dans un pudding qui gonfle. Cette expansion se traduit par un décalage vers le rouge de la lumière que nous recevons d’elles (effet Doppler-Fizeau). Si on quantifie ce décalage par l’écart relatif en longueur d’onde z, on observe aujourd’hui des galaxies jusque z = 6. Ce décalage z est une mesure de l’âge de l’objet, puisqu’il caractérise le temps écoulé depuis le Big Bang : z = 6 correspond à environ 5 % de l’âge de l’Univers. Désormais, nous observons des galaxies à presque tous les stades de leur évolution et en direct, comme sur ce champ profond où le nombre de galaxies par unité de surface est impressionnant.
Ces observations montrent que le nombre de galaxies par unité de volume, une fois prise en compte l’expansion de l’Univers, était plus important autrefois. Plus petites et plus irrégulières, ces naines fusionnèrent au cours du temps pour former des galaxies plus grosses, d’où naquirent enfin les galaxies actuelles.
Les galaxies à flambée de formation d’étoiles :
Combien une galaxie, située au décalage z, forme-t-elle d’étoiles par unité de temps ? Ce taux se mesure par sa luminosité en ultraviolet ou par la quantité de gaz ionisé qu’elle contient.
À z = 0 (galaxies proches et quasi contemporaines), le taux est le plus bas. Autrefois, entre z = 0 et z = 1, le taux était dix fois supérieur et fut maximal à z = 2. Dans un passé plus lointain encore, les galaxies formaient beaucoup moins d’étoiles.
Quelle est la cause d’une telle variation ? Les observations, aux longueurs d’onde de l’infrarouge lointain (satellite IRAS, 1981 et satellite ISO, 1996), ont identifié une nouvelle catégorie de galaxies où, à partir de leur gaz interstellaire, se produisent brièvement des flambées de formation d’étoiles. Alors qu’une galaxie tranquille (notre Voie lactée) produit une ou deux étoiles nouvelles par an, celles-ci donnent alors naissance à cent fois plus. Comme les étoiles en formation sont encore enfouies dans leur cocon interstellaire, leur lumière chauffe la poussière du cocon, jusqu’à 40 à 60 K. L’énergie est rerayonnée dans l’infrarouge lointain, où les flambées sont observées. Une telle galaxie, appelée ultra-lumineuse infrarouge, peut rayonner près de 99 % de sa luminosité en infrarouge et 1 % dans le visible !
Les quasars sont d’autres galaxies ultra-lumineuses : leur noyau, dit actif, rayonne des quantités énormes d’énergie, souvent sous forme de rayonnement X. Dans le noyau, un trou noir supermassif (près d’un milliard de masses solaires) attire la matière environnante ; celle-ci, avant d’y être avalée, rayonne en lumière près de 10 % de son énergie de masse me2. Cette conversion est plus efficace que le dégagement d’énergie nucléaire dans une étoile : lorsque l’hydrogène s’y transforme en hélium, moins de 1 % de l’énergie de masse est rayonné. Néanmoins dans l’Univers, les galaxies à flambées sont plus fréquentes que les quasars.
Est-on bien sûr de l’origine de l’énergie de ces galaxies ? À quoi sont dues ces flambées ? La solution est évidente sur la Figure 1.8 : les objets à grande luminosité résultent tous d’interactions et de fusions de galaxies. Bien qu’il y ait souvent aussi un noyau actif, donc une partie de l’énergie d’origine gravitationnelle, le mécanisme de flambée domine.
Quand deux galaxies se rapprochent, leur gaz est précipité violemment vers leurs centres, ce qui déclenche les flambées : chaque galaxie évolue pour minimiser son énergie totale, en concentrant sa masse vers son centre où l’énergie gravitationnelle est plus basse. Mais la conservation du moment angulaire empêche le gaz de tomber directement, il tourne dans un disque d’accrétion. Lors d’une interaction entre galaxies, des instabilités (ondes spirales, barres) se développent et facilitent la chute du gaz : la densité augmente et le taux de formation d’étoiles, qui lui est proportionnel, augmente fortement. De plus, les conditions nécessaires à une flambée sont favorables à l’activation du trou noir central : noyau actif et flambées sont souvent associés.
Autrefois, il y eut davantage de telles interactions, donc davantage de galaxies formant beaucoup d’étoiles qu’il n’en exista ultérieurement : les anciennes galaxies voient alors, par effet d’expansion, leur maximum de luminosité décalé de l’infrarouge lointain vers le millimétrique. Ce domaine est vraiment privilégié pour observer ces galaxies primordiales. À 1 millimètre de longueur d’onde, les différents spectres se chevauchent, et les galaxies situées à z = 5 sont plus brillantes que les galaxies à z = 1, Paradoxalement, il est ici plus facile de détecter les objets lointains plutôt que les proches !
Ce paradoxe heureux a déjà été mis à profit en utilisant les télescopes millimétriques actuels (télescopes JCMT de 15 mètres de diamètre à Hawaii ou franco-allemand-espagnol de l’IRAM de 30 mètres de diamètre à Grenade). En visant loin d’objets brillants et proches, une longue pose (près d’une centaine d’heures) révèle alors des sources nouvelles, probablement très lointaines. Certai¬nes ont pu être identifiées avec des galaxies lointaines repérables, d’autres non. Avec les télescopes de la génération future, et notamment l’interféromètre ALMA, en projet sur un haut plateau chilien, cent fois plus de sources seront détectables. La résolution angulaire de cet interféromètre (10 à 100 millisecondes d’angle) permettra de les identifier si elles ne sont pas trop obscurcies, ou bien leur décalage vers le rouge sera obtenu grâce aux raies de la molécule CO.
La découverte de ces sources millimétriques à grand z et leur nombre permettent enfin de préciser l’histoire de la formation des étoiles au sein des galaxies.
Un scénario en arborescence :
Désormais, les principales incertitudes sur la formation des galaxies proviennent de la physique des baryons et de tous les processus complexes de dissipation, formation d’étoiles, réchauffement du milieu et conséquences des réactions nucléaires dans les étoiles, etc. Il existe toutefois un cadre solide : le scénario de formation hiérarchique, fondé sur le caractère autosimilaire des forces gravitationnelles. Dans ce scénario, les petites structures sont les premières à devenir instables et à s’effondrer sous l’effet de leur propre gravitation. Elles fusionnent ensuite pour en former de plus grosses. Or il nous reste une trace fossile de cette époque : les fluctuations de brillance du rayonnement de fond cosmologique.
Ces fluctuations de brillance, très petites, ont été mesurées à grande échelle par le satellite COBE dans les années 1990. Elles traduisent les fluctuations de densité présentes au moment du découplage de la matière avec les photons, quand l’Univers s’est recombiné (environ trois cent mille ans après le Big Bang), passant de l’état de plasma à celui de gaz d’hydrogène neutre, devenant transparent aux photons. Bien que plus fortes à petite échelle, comme le montrent des mesures récentes, elles restent toutefois trop faibles pour que des galaxies puissent se former uniquement par effondrement de baryons. L’effondrement gravitationnel des structures est très lent dans l’Univers, car il est contrecarré par l’expansion : si les structures n’avaient commencé à croître qu’après la recombinaison, les grandes structures observées aujourd’hui n’auraient pas eu le temps de se former. Une croissance plus précoce requiert une matière non baryonique, la fameuse matière noire ou masse cachée (dite non baryonique) n’interagissant pas avec les photons et s’effondrant bien avant la recombinaison. Les structures que forme cette matière noire tombent plus facilement, prennent ainsi de l’avance, puis la chute des baryons dans leurs puits de potentiel produit la densité nécessaire à la formation des galaxies.
Les observations des amas de galaxies et des grandes structures, telles qu’elles nous apparaissent aujourd’hui, permettent ainsi de préciser le contenu de l’Univers en matière noire non baryonique. A grande échelle, il y aurait cinq à six fois plus de masse due à la matière noire qu’aux baryons. Mais dans les galaxies, localement, les baryons dominent. La matière noire se condense en filaments, puis au sein de ceux-ci en halos ; chacun de ceux-ci forme un puits gravitationnel où se développent plusieurs galaxies. Les observations permettent aussi de préciser les paramètres physiques (par exemple la densité, ou la température) qui entrent dans les simulations informatiques. Nos instruments ne sont pas assez sensibles pour observer facilement, à grand z, le gaz moléculaire dans lequel se forment les étoiles. Toutefois le phénomène de lentille gravitationnelle, qui peut amplifier les objets lointains par des facteurs atteignant 50 à 100, a parfois permis d’observer ce gaz.
Des trous noirs omniprésents :
Un des résultats marquants de ces dernières années, obtenu grâce à l’augmentation de la résolution spatiale (Hubble, et optique adaptative au sol), est la mesure de la masse des trous noirs super-massifs dans les quasars. L’observation nous révèle que quasars et noyaux actifs sont rares, mais cette rareté peut être expliquée par deux hypothèses extrêmes : soit quelques rares galaxies possèdent un trou noir supermassif en leur centre mais sont actives toute leur vie, soit les trous noirs existent dans pratiquement toutes les galaxies, mais leur période d’activité est très courte devant l’âge de l’Univers. C’est cette seconde hypothèse qui est confirmée par la découverte d’une relation de proportionnalité entre masse du trou noir et masse du bulbe dans toute galaxie.
La période d’activité du trou noir est typiquement limitée à quarante millions d’années et cesse par défaut de matière à « avaler ». Si ce n’était le cas, on devrait observer des masses bien supérieures au milliard de masses solaires. La formation des trous noirs supermassifs s’effectue progressivement, de la même façon que se forment les galaxies, et parallèlement à la formation des étoiles. La chute du gaz vers le centre et la perte de moment angulaire sont des contraintes requises et pour les flambées et pour l’alimentation des trous noirs. De fait, la courbe d’activité des quasars, établie récemment grâce aux quasars actifs, ressemble beaucoup à celle de la formation d’étoiles. La période la plus faste d’activité d’une galaxie est vers z = 2, quand les structures de la taille d’un amas se découplent de l’expansion et deviennent autogravitantes : alors se produisent de nombreuses interactions entre galaxies, des fusions, et en conséquence ces feux d’artifices que sont les flambées d’étoiles et les quasars.
Toutes les galaxies d’un amas n’ont pas fusionné, bien que le halo de matière noire, lui, corresponde à la fusion de toutes les structures plus petites. Les galaxies baryoniques garderont leur identité. Aujourd’hui, l’Univers est beaucoup plus calme, et le taux de formation d’étoiles est retombé, de même que celui des quasars, bien que les trous noirs massifs restent tapis au centre des galaxies, dont la nôtre.
Vidéo : Formation d’étoiles et galaxies primordiales
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