Des boules de feu tombées du ciel
L’homme connaît les étoiles filantes depuis l’époque immémoriale où il a levé les yeux vers le ciel pour la première fois. Les premières observations systématiques, effectuées en Chine et en Corée, ne remontent toutefois qu’à l’an 2000 av. J.-C. environ. Les pluies d’étoiles filantes sont évoquées de façon sporadique dans plusieurs documents chinois. En l’an 36 apr. J.-C., par exemple, il est fait référence à l’essaim des Perséides pour la première fois : « Plus de cent météores sont tombés jusqu’au matin»; en 466 apr. J.-C., c’est l’essaim des Êta Aquarides qui est évoqué pour la première fois : «D’innombrables étoiles, des grosses et des petites, sont tombées vers l’Ouest»; les Orionides sont mentionnées dans un texte de 585 apr. J.-C. : «Des centaines d’étoiles se sont éparpillées dans toutes les directions»; en 687, il est fait référence aux Lyrides : « Il est tombé une pluie d’étoiles»; en 1002, enfin, on évoque les Léonides : «Un grand nombre de petites étoiles sont tombées.» L’essaim des Léonides est également décrit dans des chroniques arabes. Ainsi, vers la mi-octobre de l’an 902, «on vit dans la nuit un nombre infini d’étoiles se disperser ici et là, comme de la pluie, et cette année fut baptisée l’année des étoiles». Puis, en 1202, «pendant la nuit de samedi, le dernier jour du mois de muharram, les étoiles… volèrent les unes contre les autres, comme un essaim de sauterelles».
Les textes européens de cette époque font également référence aux pluies d’étoiles filantes. En 1095, dans Y Anglo-Saxon Chronicle, on lit que «A Pâques, la nuit de la messe de Saint- Ambroise [le 4 avril], on a vu de très nombreuses étoiles tomber du ciel, pratiquement dans tout le pays et pratiquement toute la nuit, non pas une ou deux à la fois, mais si drues qu’il était impossible à aucun être humain de les compter. » Près de deux siècles plus tard, Matthew Paris, dans son Historia Anglorum, décrit l’activité des Perséides en 1243 : «Cette
année, le 26 juillet, par une nuit parfaitement dégagée, des étoiles brillantes, bien visibles, ont semblé tomber et s’éteindre ici et là en si grand nombre que s’il avait fallu que ce soit de vraies étoiles, il n’en serait plus resté une seule au firmament. »
À l’époque moderne, un certain nombre de documents évoque le passage de bolides brillants, tel celui du 7 novembre 1492, représenté dans un tableau d’Albrecht Dürer, qui assista à son explosion. Celle-ci provoqua la chute d’une énorme météorite de 150 kg dans un champ situé à proximité d’Ensisheim, en Alsace. En 1676, l’astronome italien Geminiano Montanari observa un bolide dont l’apparition fut suivie d’un bruit métallique sifflant; en 1707, dans le Worcestershire, on vit un bolide si brillant «qu’il occulta la Lune et les étoiles» et laissa une traînée qui persista pendant une demi-heure sous la forme d’un petit nuage blanc.
Le 17 mars 1719, Edmond Halley, l’astronome anglais qui donna son nom à la plus célèbre des comètes, assista à un spectacle stupéfiant : il vit une boule de feu presque aussi brillante que le Soleil filer entre les Pléiades et la constellation d’Orion, laissant dans le ciel une traînée lumineuse qui persista plus d’une minute. En 1758, les habitants de Newcastle virent un bolide si éclatant que sa lumière «aurait permis de retrouver une épingle perdue dans la rue». Quant à celui du 18 août 1783, observé en France et dans les îles Britanniques (notamment par le célèbre William Herschel et par le poète William Blake), il fut brillantissime et se fragmenta dans le ciel; deux tableaux ont immortalisé cette explosion. Parmi les bolides observés récemment, on citera celui du 10 août 1972, dont la luminosité a presque atteint celle du Soleil : apparu en plein jour, il a été photographié et filmé dans le ciel du Wyoming et du Montana (États-Unis), ainsi que dans le sud du Canada; à l’origine de ce bolide, un corps céleste d’environ 10 mètres de diamètre qui a pénétré de manière rasante dans notre atmosphère et a échappé de justesse à un impact avec la Terre en rebondissant dans l’espace interplanétaire.
Dans l’Antiquité, les météores, ainsi que les comètes, étaient considérés comme des phénomènes purement atmosphériques. Le terme même de météore dérive du mot grec meteôros (littéralement «objet élevé dans les airs»), qui est aussi la racine du mot météorologie, laquelle décrit les phénomènes survenant dans la basse atmosphère. Selon Aristote, dont les conceptions ont prévalu jusqu’au XVIII siècle, les météores et les comètes résultaient d’émanations chaudes du sous-sol qui, en s’élevant dans l’atmosphère, s’embrasaient sous l’effet du frottement. Au XVI siècle, l’idée selon laquelle les météores auraient une origine extraterrestre commença à s’imposer, notamment sous l’impulsion de Halley qui, le premier, défendit cette hypothèse dès 1714. En comparant les observations du bolide de 1719 effectuées à Oxford et à Worcester, le célèbre astronome réussit même à en calculer l’altitude, évaluée à 119 km.
En 1794, Ernst Chladni, physicien allemand, affirma que les météores, les météorites et les bolides avaient une origine cosmique. Selon lui, les météores étaient produits par des débris restés dans l’espace interplanétaire après la formation des planètes.
En 1798, deux étudiants allemands, H. W. Brandes et J. F. Benzenberg, refirent l’expérience de Lalley et effectuèrent des calculs de parallaxe pour déterminer l’altitude des météores. Leurs premiers résultats furent faussés, car ils utilisèrent une base de triangulation trop petite (10 à 15 km). En augmentant alors la distance entre les sites d’observation, ils trouvèrent des valeurs moyennes de 98 km, assez proches de celles que l’on obtiendrait avec les méthodes modernes.
Au Venezuela, le 12 novembre 1799, des boules de feu tombèrent du ciel par milliers, semant l’émoi et la panique parmi la population. Partis pour une expédition de cinq ans en Amérique du Sud, le naturaliste allemand Alexander von Humboldt et son ami le botaniste français Aimé Bonpland seront témoins de cette tempête météorique. Bonpland rapporta que l’on voyait tellement d’étoiles filantes «qu’il ne restait pas une surface plus grande que trois fois la Lune qui ne soit traversée de météores à chaque instant». Cette pluie fut également observée dans d’autres régions d’Amérique du Sud et au large de la Floride. À bord de son bateau, Andrew Ellicott fut réveillé à trois heures du matin pour assister au phénomène; dans son journal de bord, il raconte que «tout le firmament était illuminé par des fusées célestes qui ne s’éteignirent qu’au lever du Soleil». On assista également à ce spectacle, juste avant l’aube, dans les îles Britanniques et même en Allemagne, où le jour s’était pourtant déjà levé. En Amérique du Sud, von Humboldt et Bonpland retrouvèrent les traces d’une pluie de météores survenue en 1766, ainsi qu’à plu¬sieurs reprises dans le passé, selon une périodicité d’environ 30 ans. Von Humboldt fut également le premier à noter que les étoiles filantes semblaient toutes provenir de la même zone du ciel.
Deux autres pluies fort spectaculaires se produisirent en 1832 et 1833. L’averse météorique de novembre 1832, déjà très abondante, fut aperçue dans l’Oural, en Arabie, dans l’île Maurice, l’Atlantique Nord et plusieurs régions d’Europe. Mais l’année suivante, dans la partie orientale de l’Amérique du Nord, le ciel fut cette fois le théâtre d’un véritable feu d’artifice.
Dans la nuit du 12 au 13 novembre 1833, des dizaines de milliers de météores sillonnèrent le ciel, là encore sous les yeux ébahis de la population. Chacun réveilla son voisin pour qu’il puisse voir ce spectacle, mais la plupart des gens se réveillèrent spontanément, en sur¬saut, éblouis par les bolides les plus lumineux, dont la lueur inquiétante éclairait leurs chambres plongées dans l’obscurité. Un planteur de Caroline du Sud fut réveillé par les pleurs désespérés des esclaves de sa plantation. Il se précipita à l’extérieur, ébahi par le spectacle céleste tout autant que par la multitude de ceux qui, prostrés, la tête tournée vers le sol, imploraient Dieu de les sauver et d’épargner le monde. Selon les observateurs, les étoiles «tourbillonnaient en plus grand nombre que les flocons de neige»; à Boston, on évalua le nombre d’étoiles filantes à environ la moitié flocons de neige qui tombent lors d’une tourmente. Un compte rendu un peu moins poétique, mais plus précis, parle d’une pluie de 240000 météores qui dura neuf interminables heures, c’est-à-dire toute la nuit. À New York, on estime qu’il en est tombé 10000 par heure, certains météores étant aussi lumineux que la pleine lune. L’historien R. M. Devens classe la tempête météorique de 1833 parmi les cent événements les plus importants de toute l’histoire des États-Unis.
Là encore, plusieurs savants assistèrent à cette pluie, comme Deni son Olmsted, professeur de physique à l’université de Yale. Leurs observations permettent de confirmer l’hypothèse de von Humboldt selon laquelle ces météores émanaient tous d’un même point du ciel, situé dans la constellation du Lion (d’où le nom de Léonides donné à cet essaim), qui suivrait les déplacements de cette constellation et participerait donc au mouvement de rotation diurne du ciel étoilé. Cette constatation semble confirmer l’origine cosmique des étoiles filantes. En effet, quand la Terre traverse un essaim météorique dont les poussières suivent des trajectoires à peu près parallèles, on assiste à une pluie d’étoiles filantes qui semblent toutes jaillir d’un même point précis du ciel : le radiant. Cette convergence n’est qu’un effet d’optique, une illustration du fameux «point de fuite», qui donne l’illusion que les bords d’une route convergent en un même point à l’horizon. On supposa aussi que les météores pouvaient émaner d’une comète de très courte période. Depuis longtemps déjà (rappelons que la première observation eut lieu en Chine en 36 apr. J.-C.), on avait remarqué l’activité d’un essaim moins important – produisant quelques dizaines à quelques centaines de météores dans les dernières heures de la nuit -, qui se répétait à intervalles réguliers vers le 10 août; jusqu’en 1833, cet essaim avait été observé environ une cinquantaine de fois. Selon une tradition vivace en Angleterre et en Allemagne pendant la première moitié du XIX siècle, ces étoiles filantes étaient appelées «Larmes de saint Laurent» parce qu’elles tombaient en plus grand nombre le 10 août, jour de la fête de ce saint, correspon¬dant à la date de son martyre. Laurent fut brûlé sur un gril de fer rougi au feu en 258 apr. J.-C., à Rome, sous l’empereur Valérien : selon la légende, les étoiles filantes représenteraient les larmes de feu de saint Laurent. En 1834, le physicien américain John Locke démontra que ces météores également provenaient tous d’un même point précis du ciel, situé dans la constellation de Persée. À la même époque, le Belge Adolphe Quetelet et l’Américain Edward Herrick affirmèrent presque en même temps, entre 1836 et 1837, que cette pluie présentait une périodicité annuelle. Herrick fut aussi le premier à envisager l’hypothèse d’une origine cométaire des météores et à observer l’activité des Géminides et des Lyrides. Quant à Quetelet, il publia en 1839 le premier catalogue systématique des averses météoriques observées depuis le Moyen Âge.