Une science aux frontières: Nouveaux outils d'observation
Des évolutions considérables :
L’astronomie ne cesse de progresser grâce à l’observation de la lumière émise par les objets célestes et collectée par les télescopes. Ce rayonnement lumineux transporte une multitude d’informations, que les astrophysiciens déchiffrent et dont ils déduisent les propriétés (température, mouvements, composition, etc.) de la source du rayonnement (planète, étoile, galaxie, fond cosmologique) ou celles des milieux traversés par la lumière pour atteindre la Terre. Depuis une quarantaine d’années, les progrès des outils ont été prodigieux, conduisant à des découvertes exceptionnelles, mais aussi à des interrogations majeures, comme celles de la nature de la matière noire ou de l’énergie du vide. Ces progrès tiennent à un petit nombre de facteurs.
L’accès à l’espace, par des télescopes embarqués sur des satellites artificiels, a élargi la gamme des rayonnements observés, s’étendant désormais des rayons gamma aux ondes radio, chaque rayonnement transportant des informations spécifiques : ainsi, les objets très froids, nuages de poussière, étoiles ou planètes en formation, n’émettent que de l’infrarouge, la matière tombant sur un trou noir émet principalement des rayons gamma et X. Télescopes placés dans l’espace et télescopes au sol se partagent harmonieusement les problèmes à résoudre, développant chacun des techniques spécifiques faisant appel aux ressources les plus subtiles de l’optique, de la mécanique, de la robotique. Le deuxième progrès est un formidable gain en sensibilité, lui- même dû à la conjugaison de deux autres facteurs. Les techniques de fusion du verre et de son polissage, la possibilité de construire des miroirs minces et flexibles dont la forme est commandée par des actuateurs mécaniques et un ordinateur ont conduit, en moins de trente ans, à faire passer la taille du miroir primaire des télescopes optiques de 3-5 mètres à 8-10 mètres, gagnant un facteur 10 en quantité de lumière collectée. Deux futurs télescopes optiques, l’un de 30 métrés (TMT, États-Unis), l’autre de 42 mètres (E-ELT, Europe), sont aujourd’hui à l’étude. Le second facteur est le remplacement de la photographie par les détecteurs photo électroniques appelés CCD (charge coupled device ou dispositif à transfert de charge) qui équipent aussi les appareils photo numériques. Ils présentent une sensibilité de dix à cent fois meilleure que celle des plaques photo, avec des formats qui atteignent désormais un quart de milliard de pixels (un pixel est un élément photosensible du récepteur, donc de l’image). La conjugaison de ces deux facteurs conduit à des résultats impressionnants : le gain total est de mille par rapport à la combinaison antérieure d’un télescope de 3,6 mètres avec la photographie. À temps de pose égal, cela représente la détection d’objets situés 1 0001/2 = 33 fois plus loin ! C’est ainsi que sont désormais photographiées ces galaxies formées lorsque l’Univers avait 5 % de son âge actuel.
Le troisième progrès, également spectaculaire, a réussi à améliorer le piqué (appelé résolution) des images. Obtenir une image d’un objet est une aide incomparable pour le comprendre : volcans sur les satellites de Jupiter, protubérances à la surface du Soleil, disques de poussière et planètes autour d’étoiles, jets de matière éjectés par les galaxies, tourbillons et ondes de choc produits dans le milieu interstellaire par les explosions de supernovae. Or, une fois raffinés les miroirs d’un télescope optique, deux limitations à la qualité de ses images apparaissent. L’une est fondamentale, puisque liée à la nature ondulatoire de la lumière, c’est la diffraction. L’onde lumineuse, rencontrant les bords du miroir primaire, est éparpillée et cela se traduit dans l’image qui perd de son piqué : l’image d’un point lumineux devient une tache, de taille d’autant plus petite que le diamètre D du miroir est grand et que la longueur d’onde À de la lumière est petite. La seconde limitation est imposée par l’atmosphère de la Terre, que doivent traverser les rayons lumineux pour atteindre un télescope au sol. Ces inhomogénéités dévient aléatoirement les rayons (comme les images dansent au-dessus d’un feu), et l’image d’un point lumineux devient floue : la dégradation des images, par rapport au cas idéal de la diffraction, peut atteindre un facteur 50 ! Une solution est de placer le télescope dans l’espace comme le fut le télescope Hubble (diamètre 2,4 mètres) en 1989 ou le sera son successeur, le James Webb Space Telescope en 2014 (NASA et Agence spatiale européenne). Contrairement à Hubble placé en orbite basse (environ 500 kilomètres) et comme les observatoires Herschel et Planck lancés par l’Europe en 2009, le JWST se trouvera au point de Lagrange situé à l’extérieur de l’orbite terrestre et au-delà de la Lune, ce qui lui permettra de rester constamment aligné selon la ligne Soleil-Terre.
Décabosser l’onde lumineuse : l’optique adaptative
Vaincre la limitation imposée par l’atmosphère terrestre a été un résultat important obtenu à la fin des années 1980 par l’utilisation de l’optique adaptative : le principe en est simple, la réalisation l’est moins qui fait appel à de la micromécanique et de l’électronique rapide. L’idée se rapproche du travail du carrossier redressant une aile de voiture : frappant sur la tôle, il aplanit les bosses et relève les creux. Ce sont les « cabossages » de l’onde lumineuse affectée par l’atmosphère terrestre qui perturbent les images astronomiques. Il suffit donc, si l’onde présente une bosse (elle est en avance sur la portion voisine), de la retarder, et réciproquement de l’avancer si elle présente un creux. Cela se fait à l’aide d’un miroir rapidement déformable afin de suivre la cadence d’agitation de l’atmosphère : bien sûr, il faut informer ce miroir de ce qu’il doit faire, en mesurant les bosses et creux de l’onde puis en calculant à l’aide d’un ordinateur rapide les corrections à introduire. L’optique adaptative, implantée aujourd’hui sur tous les grands télescopes, a révolutionné l’observation au sol en s’affranchissant dans bien des cas de cette dégradation des images, et en permettant à chaque instrument d’atteindre sa limite de diffraction. Désormais, grâce à leur grand diamètre, ces télescopes obtiennent des images meilleures que celles obtenues dans l’espace.Les résultats sont spectaculaires. Citons-en deux exemples : le suivi de l’activité volcanique de Io, satellite galiléen de Jupiter la cartographie du centre de notre galaxie et le suivi du mouvement des étoiles qui en sont proches, en orbite autour du trou noir géant qui en occupe le centre, dont il devint possible en 2002 de déterminer la présence et la masse (2,6 millions de masses solaires). L’optique adaptative a permis d’obtenir en 2006, avec le VLT, la toute première image d’une exoplanète, en la distinguant de celle de l’étoile autour de laquelle elle est en orbite.
L’interférométrie optique :
Même en atteignant sa limite de diffraction, un télescope unique, de dix mètres par exemple, garde encore une résolution limitée à 20 millisecondes d’arc environ à la longueur d’onde de 1 micromètre (Keck Telescope, Hawaii). Or de nombreux problèmes requièrent d’observer de plus fins détails. Citons au sein de notre Galaxie, l’obtention d’images de la surface des étoiles, avec leurs taches et leur activité comme cela se fait depuis longtemps pour le Soleil, celles de planètes extrasolaires, la structure des disques de gaz et de poussières dans lesquels se forment ces planètes. Les violents phénomènes d’accrétion dans les galaxies, le voisinage des trous noirs du noyau galactique sont le lieu de phénomènes physiques énergétiques. Former directement l’image de ces régions est difficile et requiert des résolutions dix à cent fois supérieures aux précédentes.
C’est alors qu’intervient l’interférométrie, qui prend le relais de l’optique adaptative : puisqu’il n’est plus réaliste de construire des télescopes optiques de diamètre hectométrique ou kilométrique, la résolution est obtenue en combinant la lumière reçue par deux télescopes indépendants, éloignés l’un de l’autre: ces télescopes fonctionnent, vis-à-vis de la source de lumière qui les éclaire, sur le même principe que les trous d’Young, la plus simple mais aussi une des plus fécondes des expériences d’interférence lumineuse.
Cette combinaison produit des franges d’interférences, dont le contraste est directement fonction de la dimension angulaire de l’objet observé : en particulier, si B est la distance des télescopes, la résolution obtenue est de À/B, qui peut être dix à cent fois inférieure à la valeur À/D caractérisant la résolution limite de la diffraction d’un télescope de diamètre D fonctionnant à la longueur d’onde À,. La mise en œuvre de cette technique, inventée par Hippolyte Fizeau en 1868, n’est pas simple : on appréciera la difficulté optique en notant que la lumière doit suivre, depuis chaque télescope jusqu’au foyer commun où se forment les franges, des chemins qui comprennent plus de dix miroirs sur plus de 100 mètres et qui conservent une précision relative de l’ordre de la centaine de nanomètres !
Ce n’est que depuis vingt-cinq ans que l’interférométrie a repris vie dans le domaine optique (lumière visible et infrarouge). Ainsi, les deux plus grands télescopes actuels, le Very Large Telescope européen (4 x D = 8,2 m, B = 120 à 200 m) au Chili et le Keck Telescope à Hawaii (2 x D = 10 m, B = 90 m), offrent l’un et l’autre cette possibilité nouvelle, comme de nombreux autres instruments, tel le réseau CHARA au Mount Wilson, au-dessus de Los Angeles. Il existe même un programme expérimental (OHANA) visant à relier entre eux la dizaine de grands télescopes présents sur le site du Mauna Kea (Hawaii), dont le télescope France-Canada-Hawaii. Un réseau de fibres optiques transparentes à la lumière visible ou infrarouge, si elles sont de diamètre suffisamment petit, peut transporter non seulement l’énergie lumineuse, mais aussi la phase de l’onde, préservant ainsi la possibilité de faire interférer en un même lieu les ondes reçues par les différents télescopes. L’interféromètre ainsi réalisé, dont les « premières franges » ont vu le jour en 2006, disposera d’une base maximale B = 900 m, presque supérieure d’un ordre de grandeur à la base formée par les deux télescopes Keck.
Toutefois, les turbulences de l’atmosphère terrestre, déjà responsables de la dégradation désormais corrigée par l’optique adaptative, présentent également de sérieux obstacles à la détection des franges interférométriques, en les brouillant dès que le temps de pose dépasse quelques dixièmes de seconde : c’est dire que se rencontre ici une limite radicale à la sensibilité, c’est-à-dire à la détection des objets faibles. Le miracle que produit l’optique adaptative peut-il se reproduire et annuler ce brouillage des franges ? La réponse est positive, mais dans certains cas seulement.
Des flottilles de télescopes dans l’espace :
C’est pourquoi, à côté des interféromètres situés à la surface de la Terre, les astronomes rêvent d’en installer d’autres dans l’espace, car les turbulences atmosphériques ne les affecteront plus. L’un de ces programmes, étudié en Europe, s’intitule Darwin : il comprend une flottille de plusieurs petits télescopes, chacun porté par un satellite indépendant, distants de quelques dizaines ou centaines de mètres (B), chacun envoyant, par miroirs, la lumière collectée vers un satellite central où se forment et se mesurent les interférences. Ce programme serait destiné tout particulièrement à la détection des planètes extrasolaires, qu’il faut distinguer de leur étoile bien qu’elles soient des millions de fois moins lumineuses qu’elle, mais surtout à en faire le spectre. L’analyse spectrale de la lumière planétaire permettra en effet de dire si la planète possède une couche d’ozone, comme la Terre, avec une très grande probabilité de pouvoir alors assigner l’origine de cet ozone à l’oxygène généré par une activité biologique. La complexité de ce projet conduit à rechercher des étapes intermédiaires, l’une d’entre elles pouvant être l’installation d’un interféromètre, fonctionnant dans l’infrarouge et situé sur le plateau antarctique, afin de bénéficier d’une qualité atmosphérique qui ne se rencontre nulle part ailleurs à la surface de la Terre.
L’interférométrie ne se limite pas aux longueurs d’onde du visible ou de l’infrarouge. Un magnifique projet international est celui du radiotélescope millimétrique ALMA, un interféromètre de près de 10 kilomètres de base B, doté de cinquante télescopes (antennes) de 12 mètres de diamètre, en cours d’installation à 5 100 mètres d’altitude sur le plateau andin de Chajnantor à la frontière chiléno- argentino-bolivienne. ALMA (Atacama Large Millimeter Array) étudiera la matière froide au sein des galaxies, et notamment la chimie moléculaire qui s’y déroule.
Ainsi, en moins de quarante années, la résolution des télescopes optiques sera passée d’une valeur de l’ordre de la seconde d’angle, que l’on croyait infranchissable sauf dans l’espace, à des valeurs mille fois plus faibles. Ce gain est dû à une habile conjugaison des ressources de l’optique et de la physique avec la précision qu’autorise une métrologie fondée sur l’emploi des lasers, l’automatisation que permet l’informatique, enfin le choix de sites astronomiques lointains (Chili, Hawaii) à la météorologie favorable. D’ici une à deux décennies, ces ressources nous permettront de former l’image de planètes semblables à la Terre et situées autour d’autres étoiles et plus tard d’y discerner, peut-être, continents, nuages et traces de végétation. Enfin, une interférométrie dans l’espace, étendue aux très courtes longueurs d’onde des rayons X, n’est plus inconcevable : elle donnerait l’image du voisinage immédiat d’un trou noir étoiles et plus tard d’y discerner, peut-être, continents, nuages et traces de végétation. Enfin, une interférométrie dans l’espace, étendue aux très courtes longueurs d’onde des rayons X, n’est plus inconcevable : elle donnerait l’image du voisinage immédiat d’un trou noir.