Prévoir le climat
Météorologie et océanographie : des applications récentes de la physique classique
Jusqu’au XIXe siècle, l’étude des phénomènes conditionnant le climat a été descriptive : vents dominants, cycles de précipitations saisonniers, courants marins, formation ou fonte des glaciers ou des glaces polaires, ont été répertoriés par les géographes au cours de missions d’exploration et de campagnes de mesures sur le terrain. Si certains des mécanismes physiques en jeu avaient déjà été élucidés, ce n’est que dans la seconde moitié du XXe siècle que se sont développées les approches physiques de la météorologie ou de l’océanographie. Ce développement a été rendu possible grâce à celui de la mécanique des fluides, où d’une part ont été identifiés les équilibres des principales forces (pression, gravité, force de Coriolis, etc.), et d’autre part les résultats de l’étude des instabilités hydrodynamiques, qui jouent un rôle fondamental à différentes échelles dans l’atmosphère et les océans, ont été conceptualisés. Les écoulements à grande échelle au sein de l’atmosphère résultent des différences de température et d’humidité entre le sol et les couches élevées, ou entre l’équateur et les pôles. Dans le cas de l’océan, c’est l’action combinée des différences de température et de salinité, outre celle des vents, qui engendre les écoulements. Ainsi, l’ensemble atmosphère-océan peut être considéré comme fonctionnant à la manière d’une gigantesque machine thermique, transformant une partie de l’énergie solaire reçue par la Terre en travail mécanique produisant précipitations, vents et courants marins. La dynamique de ces écoulements est affectée par la force de Coriolis due à la rotation de la Terre et par divers types d’instabilités hydrodynamiques.
Le couplage atmosphère-océan, un élément fondamental dans la prévision du climat :
La prévision saisonnière du climat et a fortiori à long terme se heurte à une autre difficulté. L’effet de la dynamique de l’océan sur les paramètres atmosphériques, qui peut être négligée pour les prévisions météorologiques à court terme en raison de la plus grande inertie de l’océan, doit alors être pris en compte. Cela explique que, de façon surprenante, les modèles climatiques soient plus simples pour d’autres planètes du système solaire ne comportant pas d’océan, telles que Mars par exemple, que dans le cas de la Terre. Les performances des ordinateurs contemporains ont permis de mettre en œuvre depuis quelques années des modèles climatiques prenant en compte le couplage atmosphère-océan. Une illustration typique est la prévision d’El Niño. Observé initialement par les pêcheurs de la côte pacifique de l’Amérique du Sud, il survient aléatoirement et se manifeste par une température inhabituellement élevée de la surface de l’océan. Celle-ci s’accompagne d’une modification importante des courants de convection et affecte profondément l’écosystème, en particulier la pêche. Le climat change sur une portion notable de la planète au cours de l’année qui suit. Les simulations numériques montrent qu’il est actuellement possible de prédire El Niño six mois à l’avance et que cette prévision moyenne a une fiabilité meilleure que celle résultant de l’analyse statistique des événements passés. La température de la surface de l’océan donnée par les observations est correctement prédite trois mois à l’avance par les simulations numériques.
Glaces et climat :
À la surface de la Terre, le rôle de la glace est fondamental. En réfléchissant plus efficacement la lumière solaire et donc en diminuant la fraction de puissance solaire absorbée par la Terre, les surfaces couvertes par les neiges ou les glaces sont un amplificateur important des variations du climat. La hausse du niveau des mers, qui se produit désormais à un rythme mesuré de 3 millimètres par an, soit 30 centimètres par siècle, est due pour moitié à la dilatation de l’eau de mer qui se réchauffe en profondeur et à la fonte des glaciers de montagne, avec aussi une contribution de la fonte du grand glacier polaire que constitue le Groenland (0,4 millimètre par an). Cette hausse du niveau de la mer semble bien liée au processus de réchauffement global et devrait se poursuivre, voire s’intensifier à l’échelle du siècle qui vient. La mesure dans laquelle la fonte des glaces du Groenland et de l’Antarctique contribuera à cette évolution future fait l’objet de recherches actives, mais souffre encore d’incertitudes.
Le climat du futur :
Comprendre l’evolution du système climatique global en réponse à des perturbations telles que l’augmentation des gaz à effet de serre, la déforestation, l’érosion des sols, nécessite de modéliser l’ensemble de ce que l’on appelle souvent le « système Terre ». Cela réclame d’abord une attention plus particulière vis-à-vis de certains processus physiques qui jouent un rôle clé : le rôle des changements de phase a déjà été mentionné au sujet des précipitations, mais plus généralement certains mécanismes de la dynamique des nuages ou de la physique d’interaction entre l’écoulement atmosphérique et la surface terrestre sont encore mal quantifiés. Or ceux-ci jouent un rôle important dans la compréhension du bilan et des transferts d’énergie dans le système terrestre puisqu’ils déterminent la proportion de cette énergie stockée dans le sol, dans les océans et dans l’atmosphère et celle qui est émise vers l’espace. Les modèles dits « de transfert radiatif » doivent prendre en compte les phénomènes d’émission et d’absorption du rayonnement, non seulement dus aux espèces moléculaires atmosphériques mais aussi aux nuages et aux aérosols. Un mécanisme fondamental conditionnant l’évolution du climat est l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, CFC, etc.). On désigne sous ce nom les gaz qui absorbent efficacement le rayonnement infrarouge émis par la Terre. Cette absorption réchauffe l’atmosphère qui à son tour émet dans l’infrarouge vers la surface de la Terre et en augmente ainsi la température moyenne.
Mais l’évolution des modèles climatiques vers des outils de compréhension des évolutions climatiques à l’échelle du siècle implique aussi d’étendre le système modélisé pour prendre en compte par exemple le rôle du cycle continental de l’eau, et donc des rivières, mais aussi les transferts d’eau et de carbone par la végétation ou à l’interface océan-atmosphère, tout un ensemble de processus qui impliquent les sciences physiques, mais aussi des processus chimiques ou biologiques. Tous ces effets modifient la dynamique des changements climatiques, puisqu’ils affectent la composition atmosphérique en gaz à effet de serre ou la réflectivité des sols, mais aussi les conséquences possibles de ces changements sur les systèmes biologiques, sur la santé. L’impact d’un réchauffement climatique sur l’évolution de la qualité de l’air dans les immenses agglomérations urbaines qui se développent dans beaucoup de pays constitue par exemple un sujet d’inquiétude important. Un autre phénomène chimique complexe intervenant dans la stratosphère est à la base du problème dit du « trou d’ozone » qu’il ne faut pas confondre avec celui du réchauffement climatique. La couche d’ozone fíltre le rayonnement ultraviolet en provenance du Soleil, ce qui la rend indispensable à la vie. L’émission de CFC a eu pour conséquence d’accentuer l’oscillation naturelle de la concentration d’ozone principalement au niveau de sa minimale polaire.
Enfin, encore plus difficilement prévisibles et quantifiables, les décisions politiques à l’échelle planétaire, qui peuvent avoir un impact notable sur l’évolution du climat. On estime que la moitié de l’incertitude sur le réchauffement de la planète dans le siècle à venir résulte des différents choix économiques actuellement envisageables.
Même si l’ensemble des processus impliqués dans la dynamique climatique dépasse le cadre strict de la physique, les principaux outils développés actuellement en sont issus :
— un réseau de capteurs de plus en plus sensibles et des systèmes d’observation par satellites fournissent en temps réel un ensemble de données de plus en plus précises sur les paramètres décrivant l’état de l’atmosphère et de l’océan.
— les simulations numériques de plus en plus performantes permettent une modélisation de plus en plus détaillée.
— des méthodes d’assimilation des données permettent d’intégrer de façon optimale les observations spatio-temporelles à la dynamique des processus dans les modèles de météorologie et de prévision saisonnière. Il s’agit de trouver l’état du modèle qui se rapproche le plus des observations en leur donnant des poids inversement proportionnels à l’intensité de leurs fluctuations. Les méthodes variationnelles développées pour mettre en œuvre certaines de ces méthodes d’assimilation donnent aussi des informations sur la sensibilité aux conditions initiales.
Les moyens expérimentaux ne devraient cependant pas être exclusivement consacrés à l’observation de la planète. Des expériences de physique en laboratoire sont nécessaires à la validation des paramétrisations utilisées dans les simulations numériques. Ainsi, les modèles de transfert radiatif évoqués précédemment dépendent des données spectroscopiques qu’ils utilisent, qui sont obtenues au laboratoire à partir de l’expérience ou d’études théoriques. D’autres processus, tels l’effet de la turbulence sur la formation et la croissance des gouttes d’eau au sein des nuages, devraient également être mieux quantifiés à l’aide d’expériences de laboratoire. Il importe en effet d’augmenter la fiabilité des modèles numériques, qui semblent nécessiter encore trop d’ajustements afin que leurs résultats soient conformes aux observations.
Par ailleurs, la prise en compte d’une masse croissante d’observations et l’utilisation de modèles numériques de plus en plus complexes vont sans doute réserver l’étude du climat à un petit nombre d’équipes scientifiques. Tout en veillant à ne pas développer des modèles impliquant trop peu d’utilisateurs, il importe cependant de préserver une certaine diversité des modèles disponibles au plan international afin d’éviter une utilisation politique abusive de résultats incertains mais qui ont des implications économiques majeures.
Vidéo : Prévoir le climat
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