Les polymères : des molécules géantes
Les polymères et autres macromolécules sont des objets beaucoup plus grands que les molécules ordinaires. Ils peuvent relier deux points d’un fluide en écoulement, transmettre une force d’un point à un autre, retenir un volume de liquide près d’une surface. Pour se déformer, la matière polymérique fondue exige une reptation des macromolécules entre leurs voisines. Le concept de reptation a permis de comprendre la très grande viscosité de ces polymères fondus et marqué les progrès réalisés depuis les années 1970. La physique des polymères est devenue rigoureuse et quantitative.
La contribution de P. G. de Gennes à cette physique est essentielle et fut honorée par l’attribution du prix Nobel en 1991. Dans ce qu’on appelle un « bon solvant », les interactions entre monomères sont répulsives. Partant d’une transformation mathématique assez formelle, de Gennes a su relier le problème de la configuration d’un polymère flexible dans un tel solvant à un problème de physique statistique des changements d’état. On a pu par exemple calculer le gonflement du polymère à partir de sa masse, en s’inspirant de la théorie dite « de renormalisation » des changements d’état continus de la matière. Cette méthode de calcul, qui avait valu à Ken Wilson le prix Nobel 1982, consiste à calculer les propriétés macroscopiques d’un système physique à partir de ses propriétés microscopiques, en considérant l’évolution de ces propriétés en fonction de la taille. On a ainsi compris la physique statistique des chaînes en solution, leur comportement au voisinage d’une surface, la viscosité des solutions diluées, etc. En outre, le développement des techniques de diffusion de rayonnement, notamment la diffusion de neutrons, a permis une confirmation expérimentale précise des calculs théoriques.
Malgré tous ces succès, la physique des polymères présente des défis qui devront être relevés dans les années futures. Lorsqu’on dissout un polymère dans l’eau, des charges électriques peuvent apparaître sur les chaînes et induisent une répulsion électrostatique à longue distance entre maillons. Certaines propriétés de ces « poly-électrolytes » sont surprenantes mais bien comprises. C’est le cas de certains gels de polyélectrolytes capables d’absorber jusqu’à mille fois leur volume d’eau. Mais la rigidité de ces chaînes est mal comprise, et la viscosité de solutions de polyélectrolytes reste très mal décrite par les modèles actuels. En fait, l’enjeu majeur de ce domaine est de comprendre la physique des biopolymères, qui sont des polyélectrolytes : par exemple le repliement des protéines ou des acides nucléiques. Qu’est-ce qui impose la forme d’une protéine ou celle d’un chromosome ? De quelle manière s’effectue le repliement de ces molécules biologiques qui conduit à une forme particulière ? La découverte des prions a illustré l’importance biologique de ces questions.
Par ailleurs, et c’est non moins important, la dynamique des fluides contenant des polymères en solution abonde en phénomènes paradoxaux. Par exemple, un polymère liquide monte le long d’un bâton en rotation alors que le niveau d’un fluide simple baisse ; on peut aussi siphonner une solution de polymères en dessous du niveau du siphon, la viscosité de polymères liquides baisse énormément lorsque la contrainte augmente, les polymères réduisent la traînée turbulente… Ces effets sont mal compris à l’échelle moléculaire. D’autres fluides complexes montrent des effets similaires, mais il est particulièrement important de comprendre le cas des polymères parce qu’une bonne description microscopique semble possible et que, bien sûr, les applications sont nombreuses. Enfin, la physique des polymères s’oriente aussi vers des situations encore plus complexes où les polymères sont associés à des tensioactifs ou à des colloïdes. L’association de ces deux composants permet souvent la formation de matériaux dont la maîtrise est encore assez empirique.