Les fragmentations cométaires
L’essaim des Biélides a connu un destin particulier qui le distingue des essaims des Perséides et des Léonides. En effet, après s’être dédoublée, la comète à laquelle il était associé s’est littéralement désintégrée. Selon les récents calculs effectués par Brian Marsden et Zdenek Sekanina, du Jet Propulsion Laboratory de Pasadena, en Californie (États-Unis), la scission est survenue entre 1842 et 1843; la désintégration ultérieure de la comète est prouvée par le fait que celle-ci, ou ce qu’il en restait, aurait dû être visible en 1971, année où elle devait passer à seulement 7,5 millions de km de la Terre. Mais personne n’a jamais retrouvé la moindre trace de cette comète jusqu’à ce jour. Il est toutefois surprenant que l’essaim des Biélides n’ait engendré qu’une seule autre tempête météorique spectaculaire après celle de 1872. En 1892, en 1899 et en 1904, il produisit une pluie météorique mineure, puis cessa complètement de se manifester. Selon certains savants, il est possible que seul le noyau secondaire de la comète ait été détruit, tandis que le noyau primaire aurait subi de violentes perturbations dues aux forces libérées lors de sa fragmentation. En outre, en 1901, l’essaim résultant de la désintégration du noyau secondaire serait passé tout près de Jupiter, subissant une forte perturbation gravitationnelle qui aurait définitivement modifié son orbite, laquelle ne croiserait plus celle de la Terre.
D’autres éléments sont venus compléter cette étrange histoire : selon l’astronome anglais Ivan Williams, il est possible que la comète de Biela soit entrée en collision avec l’essaim météorique des Léonides en 1832. Signalons enfin que les récentes simulations sur ordinateur réalisées par David Hughes, de l’université de Sheffield, tendraient à démontrer que l’essaim des Andromédides pourrait réapparaître dans le ciel terrestre vers 2120.
Précisons par ailleurs que les fragmentations cométaires ne sont pas exceptionnelles. Selon Z. Sekanina, pas moins de vingt autres comètes ont connu depuis le même destin. Outre les cas déjà évoqués de la Grande Comète de septembre (1882), de la comète Ikeya Seki (1965) et de la comète West (1976), on a observé des fragmentations similaires en 1860 (comète Liaia), en 1888 (Sawerthal), en 1889 (Davidson), en 1896 (comète Giacobini), en 1899 (Swift), en 1905 (Kopff), en 1914 (Campbell), en 1915 (Mellish), en 1916 (Taylor), en 1943 (Whipple-Fedtke), en 1947 (comète du Sud), en 1955 (Honda), en 1957 (Wirtanen), en 1968 (Wild), en 1969 (Tago-Sato-Kosaka) et en 1970 (Kohoutek). La fragmentation du noyau d’une comète peut avoir plusieurs origines. Lorsqu’elle survient dans les comètes qui «frôlent» le Soleil (groupe de Kreutz), comme celle de 1882 ou Ikeya Seki, elle est due principalement aux effets de marée : l’influence gravitationnelle du Soleil sur les différentes parties du noyau de la comète varie en fonction de leur distance par rapport à celui-ci, ce qui entraîne une mauvaise cohésion des matériaux qui le constituent, favorisant ainsi sa fragmentation. Ces effets de marée destructeurs ne sont d’ailleurs pas forcément induits par le Soleil, mais peuvent être dus à l’action d’une grosse planète telle que lupiter, même si c’est beaucoup plus rare. On ne connaît que deux exemples illustrant ce cas de figure. Le premier est celui de la comète Brooks 2, en 1889. Après plusieurs passages à proximité de Jupiter, cette comète s’approcha cette année-là à seulement 145 000 km de la planète, pénétrant dans la limite dite de Roche, en deçà de laquelle aucun corps solide ne peut exister, car il est précisément désagrégé sous l’influence de forces de marées colossales : son noyau s’est brisé en quatre fragments.. Le deuxième exemple, célèbre aujourd’hui, est celui de la comète Shoemaker-Levy 9, qui a fait couler beaucoup d’encre en 1994 (voir pages 44,45). Cette comète s’est approchée jusqu’à 21000 km seulement de Jupiter avant d’être brisée en 21 fragments sous l’influence gravitationnelle de la planète, qui les a ensuite attirés, l’un après l’autre, dans son atmosphère gazeuse.
Les comètes du groupe de Kreutz peuvent également subir une sorte de fragmentation explosive due à la surchauffe. Chez les comètes dont le passage au périhélie s’effectue un peu plus loin du Soleil, comme la comète West, l’influence gravitationnelle solaire s’exerce de façon moins directe et se traduit par une violente émission de gaz du noyau de la comète, résultant de son échauffement. En 1966, Whipple et Stefanik ont tenté d’expliquer le mécanisme de fragmentation des comètes qui se brisent loin du Soleil : quand la comète se trouve dans l’espace interstellaire, une coque d’éléments très volatils se formerait à la surface de son noyau sous l’effet du réchauffement interne résultant de la décroissance d’isotopes radioactifs; sous l’action du rayonnement solaire, cette coque se briserait, incapable de résister à l’onde de chaleur et à l’expansion différentielle associée à celle-ci, due à la distribution irrégulière de la lumière solaire sur le noyau. La coque se détacherait ainsi de la surface de la comète, diminuant sa cohésion et provoquant le début de sa fragmentation.
On a également expliqué la fragmentation des comètes distantes du Soleil par le passage de la glace du noyau de l’état amorphe à l’état cristallisé lorsque celui-ci voit sa température monter au-dessus de – 120 °C (température qui règne dans l’espace où gravitent les astéroïdes, entre Mars et Jupiter). Lors de ce processus, la densité de la glace passe de 2 g/cm3à 1 g/cm3 et une très grande quantité de chaleur est libérée. Il en résulte une augmentation considérable du volume du noyau, qui engendre de très fortes tensions favorisant son instabilité.
En 1982, Sekanina a émis une autre hypothèse concernant la fragmentation des anciennes comètes périodiques. Au cours de la vie d’une comète, de vastes zones du noyau se couvriraient d’une épaisse couche de poussières. Celle-ci pourrait atteindre de telles proportions qu’elle modifierait la distribution de la masse et par là même la rotation du noyau. Les tensions produites à l’intérieur d’un noyau non sphérique tournant rapidement finissent tôt ou tard par détruire la force de cohésion le long des lignes de faiblesse structurelle qui existent dans ce mélange hétérogène de glace et de poussières ; toute la couche superficielle du noyau, ainsi qu’une partie de l’enveloppe de glaces sous-jacente, se détache alors du noyau en formant une sorte de tore.
En fait, dans la majorité des cas, le phénomène de fracturation semble dû avant tout au détachement de fragments de petite taille par rapport au noyau, au fur et à mesure que la glace qui assure leur cohésion se sublime sous Faction du rayonnement solaire. Lorsqu’il perd ces fragments, le noyau, initialement lisse et régulier, prend une forme rugueuse et irrégulière. Or les aspérités offrent plus de prise aux forces engendrées par la pression de radiation du vent solaire, qui finissent par vaincre la cohésion mécanique du noyau : celui-ci se brise alors.