La Terre, l’Espace et au-delà : Étonnantes intuitions
Lucrèce, reprenant les idées d’Epicure et de son maître Démocrite, écrivait dans son ouvrage philosophique et poétique De natura rerum :
La mort en détruisant les corps n’anéantit pas leurs éléments; elle se borne à dissoudre leurs unions, puis à en combiner d’autres; elle fait en sorte que toutes choses changent de forme et de couleur, acquièrent le sentiment pour le perdre en un éclair.
[…] Maintenant prête ton attention à la doctrine de vérité : c’est une idée singulièrement nouvelle qui va frapper ton oreille, un nouvel aspect des choses qui va se révéler à toi. […]
Tout d’abord, nulle part, en aucun sens, à droite ni à gauche, en haut ni en bas, l’univers n’a de limite […]. Si donc de toutes parts s’étend un libre espace sans limites, si des germes innombrables multipliés à l’infini voltigent de mille façons et de toute éternité, est-il possible de croire que notre globe et notre firmament aient été seuls créés et qu’au-delà il n y ait qu’oisiveté pour la multitude des atomes ?[…] Le ciel et la terre, le soleil, la lune, la mer et tout ce qui vit, loin d’être uniques de leur sorte, existent au contraire en nombre infini ; car leur existence a son terme inflexible et leur essence est mortelle comme celle de tous les corps qui abondent en chaque espèce terrestre .
Le plus frappant, dans ce texte de Lucrèce inspiré d’Épicure, est le lien direct établi entre la pluralité des mondes et la durée de vie limitée des êtres sur cette Terre. Les atomes se lient et se délient, créent des êtres et les dissolvent, ici et partout. Puisque cela se passe en permanence dans le temps, nous en avons la preuve par la naissance et la mort, alors cela doit se passer aussi partout dans l’espace. Ainsi, pour ces philosophes, la multiplicité des mondes est une conséquence logique de notre courte existence.
Ce raisonnement des Grecs anciens nous semble à présent un peu simpliste, et pourtant les physiciens de notre époque, spécialistes de physique statistique, ne sont pas loin d’un raisonnement semblable lorsqu’ils énoncent le «principe ergodique». Il faut évidemment se garder de comparaisons trop hâtives et schématiques. Mais l’intuition des Anciens fut parfois remarquable.