L’incroyable spectacle
l’impensable se produisit. En trois nuits seulement, alors que la comète se rapprochait de la Terre, sa queue s’allongea de manière inhabituelle. Le soir du 23 mars, nous nous trouvions dans les Dolomites, au Passo di Falzarego (2105 m), aux côtés des passionnés d’astronomie de Feltre, de Cortina et de Conegliano. Une île de sérénité au-dessus d’un épais manteau de nuages qui couvrait toute la plaine et atteignait jusqu’à 1800 m d’altitude. Le spectacle fut impressionnant. D’une transparence incroyable, le ciel était tout à fait dégagé. La comète Hyakutake avait subi une métamorphose saisissante. Longue de 26°, sa queue s’étendait du Bouvier à la Chevelure de Bérénice ; beaucoup plus lumineuse que prévu, elle était entièrement visible à l’œil nu : pleine de filaments, elle présentait des structures complexes d’une rare beauté. C’était une queue composée de gaz ionisés, mince au départ, près de la chevelure, puis de plus en plus large ; se superposant à la partie initiale de la queue de gaz, la composante poussiéreuse, large, mesurait seulement deux ou trois degrés. À ce moment-là, la magnitude de la chevelure était comprise entre celles de Spica et d’Arthur, soit 0,5. Sa taille était d’un degré. Nous pouvons maintenant l’avouer : nous l’attendions avec impatience.
C’était notre première «grande comète», la première depuis 1976. Apercevoir la première grande comète de sa vie dans un ciel aussi noir, avec une magnitude supérieure à 7, est un événement. Il était presque gênant de recourir aux instruments pour contempler l’astre impressionnant et magnifique qui nous surplombait et qui effaçait d’un seul coup deux mille ans d’histoire en réveillant en nous les émotions et les inquiétudes des hommes de l’Antiquité.
Parce que c’est à l’œil nu que l’on avait la meilleure vision. Et on avait l’impression que la comète, là, au-dessus de nous, ne se trouvait pas à des millions de kilomètres, mais émanait de la Terre comme une vapeur, ainsi que le pensaient les Anciens. Quand apparut la Voie lactée, vers 3 heures du matin, un dernier témoignage de la clarté du ciel nous fut donné. Les nuages stellaires du Cygne, de l’Écu et du Sagittaire paraissaient chargés de pluie, tant ils étaient denses !
À l’aube, la comète Hyakutake était encore haute dans le ciel, déployant toute sa puissance. Ce fut la caractéristique la plus étonnante de cet astre qui, à la différence des autres grandes comètes, normalement visibles au lever et au coucher du Soleil, fut visible toute la nuit, pendant huit heures consécutives. Nous avions, sans aucun doute, profité d’un sort favorable : d’autres comètes avaient été peut- être plus brillantes, d’autres encore avaient développé une queue plus longue, mais seule notre comète, notre première grande comète, avait été visible toute la nuit. Et plus jamais, il n’en serait ainsi.
Le lendemain soir, nous étions encore sur le Falzarego : la queue d’ions s’était considérablement allongée par rapport à la nuit précédente, atteignant environ 42° de longueur. Les premiers 20° étaient encore très lumineux. La partie de la queue qui se trouvait le plus près de la chevelure révéla, aux jumelles et au télescope, de riches détails entremêlés. Les 20° suivants oscillaient entre une luminosité moyenne à faible. Aux jumelles et mieux encore sur les photographies, une grande fracture dans la queue d’ions était nettement perceptible. La queue de poussières était aussi longue que le soir précédent, plutôt allongée et de même dimension que la chevelure. Très diffuse, la chevelure présentait une luminosité uniforme et, au centre, une petite condensation d’aspect stellaire, très brillante. Au télescope, on vit aussi un jet mince et lumineux de matière qui sortait du faux noyau (dans une comète, le faux noyau, ou condensation centrale, est constitué par les enveloppes plus denses de gaz et de poussières de la chevelure, émis plus récemment). La taille de la chevelure était d’un degré et demi, ce qui équivaut à la distance entre la Terre et un point situé à 400 000 km. À un moment donné, la queue de la comète commença à s’incurver pour prendre la forme très particulière d’un S, qui rappelait les dessins que réalisaient les Anciens pour représenter les comètes comme des signes funestes.
Les soirs qui suivirent, le mauvais temps imposa une longue pause, même si mes amis de Cortina, incroyablement persévérants, réussirent à profiter d’éclaircies matinales sur les sommets des Dolomites, pour effectuer encore de splendides prises de vue, qui montrèrent que la longueur de la queue augmentait de plus en plus, atteignant jusqu’à 50°. Si la magnitude paraissait stationnaire, suffisamment d’éléments permettaient de situer la comète Hyakutake parmi les comètes les plus spectaculaires du siècle. Seules six comètes avaient été plus lumineuses, et seule la comète de Halley, en 1910, possédait une queue nettement plus longue. Mais aucune n’avait été visible dans ces conditions idéales pendant toute la nuit.
Vidéo : L’incroyable spectacle
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : L’incroyable spectacle
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