L’heure des Léonides, essaim tumultueux
Dans les années trente, les Léonides présentèrent une activité moins intense. Leur taux horaire atteignit des pics de 190 en 1931 et de 240 en 1932, puis s’effondra complètement. D’ailleurs, on ne revit pas la comète Tempel-Tuttle lors de son passage au périhélie. On a supposé qu’elle avait connu le même destin que la comète de Biela et que ses poussières s’étaient dispersées sur une autre trajectoire. Ou encore, que l’orbite des météoroïdes avait subi une telle déformation, sous l’effet des perturbations gravitationnelles déjà évoquées, que la partie la plus dense de l’essaim ne repasserait plus à proximité de la Terre.
Mais les astronomes se trompaient, une fois de plus. Les Léonides connurent un regain d’activité dans les années soixante. En 1961, on enregistra un taux horaire de 50 météores, qui
retomba entre 15 et 20 en 1962 et 1963, pour remonter à 40 en 1964. En 1965, on observa un taux de 220 météores à l’heure, et l’on vit plu¬sieurs bolides plus brillants que Vénus et laissant des traces qui persistaient pendant plusieurs secondes. Cette même année, on retrouva en outre la comète Tempel-Tuttle, qui avait disparu depuis près d’un siècle. En 1966, alors que les prévisions n’annonçaient aucune activité particulière, une tempête extraordinaire eut lieu dans la nuit du 16 au 17 novembre. Voici le récit qu’en fit un témoin, Ken Croswell, célèbre auteur de vulgarisation américain (une fois de plus, comme en 1799 et en 1833, les Américains étaient bien situés pour assister au spectacle, en particulier les régions centrales et occidentales des États-Unis) :
« Il est minuit et le Lion apparaît. Au nord-est, l’énorme tête de l’animal s’élève au-dessus de l’horizon et, quelques minutes plus tard, on distingue son cœur blanc bleuté, la lumineuse Régulus. Un météore sillonne la voûte étoilée de temps en temps. Le Lion continue à monter. Régulus brille d’un éclat scintillant, mais l’activité météorique reste faible. À 2 heures, le taux horaire est de 30. Les météores sont rapides, souvent brillants et plusieurs sont verts ou bleus, je note tout, en indiquant la couleur, la luminosité et la trajectoire des étoiles filantes. Ce sont bien les Léonides, mais leur nombre est si bas que je commence à me demander si les spécialistes n’avaient pas raison.
À 3 heures, la constellation est haute à l’est, et le pic commence enfin à augmenter : une, puis deux, puis trois à la minute.
L’excitation me gagne. Serait-on sur le point de voir une tempête aussi grandiose que celles de 1833 et 1866? Plusieurs bolides verts filent dans le ciel avant d’exploser silencieusement dans un halo de lumière blanche. La pluie s’intensifie. Il tombe au moins une douzaine d’étoiles filantes à la minute, et je commence à avoir du mal à les compter.
Vers 4h30, la pluie augmente brutalement et tourne à la tempête. Des centaines, puis des milliers de météores jaillissent dans le ciel, J’arrive à peine à les compter. Cinq par seconde? Dix? Vingt? Impossible! Il y en aurait 72 000 de l’heure.
À 5 heures, très haut dans le ciel, le Lion éjecte un flot ininterrompu de météores. Ils sillonnent le ciel à toute vitesse, et je dois me camper sur le sol pour les regarder. J’ai l’impression, un peu comme lorsqu’on conduit la nuit sous une tempête de neige, de tomber dans l’espace en chute libre, écrasé dans l’épais nuage de poussières cosmiques que traverse la Terre.
Après avoir fait rage pendant une heure, la tempête s’apaise. À l’aube, alors que les nuages s’empourprent à l’est, l’essaim engendre encore plusieurs météores à la minute. Quand le Soleil se lève, je suis épuisé, mais heureux. Ceux qui, comme moi, ont veillé toute la nuit, sans tenir compte des prévisions des experts, ont assisté à la plus grande tempête météorique du xx siècle. »
Très variables, les estimations du taux météorique furent comprises entre 10 et 200 météores par seconde (720 000 par heure!). Selon des calculs assez fiables, il en serait tombé environ 150 000 à l’heure, bien que ce chiffre soit lui-même réfuté depuis 1995 par Peter Jenniskens de la NASA, qui le juge excessif : il estime le taux d’environ 15 000/heure beaucoup plus réaliste, compte tenu des comptages radar effectués au Spring Hill Meteor Observatory, à Ottawa. Les travaux de Jenniskens ont toutefois été contestés par Bradford
Smith, de l’institut d’astronomie de Hilo, dans les îles Hawaii, partisan d’une estimation plus optimiste. Dans une lettre adressée au journal Sky & Telescope, Smith écrit notamment : « Les auteurs des comptages radar affirment que, pendant le pic d’activité, l’antenne a été saturée et les observations ont dû être corrigées en raison des échos superposés. Par conséquent, rien n’indique que les observations radar soient conformes aux observations visuelles… Ma propre estimation du pic horaire résulte, bien entendu, d’estimations indirectes. Dans un ciel parsemé d’étoiles filantes et de traînées persistantes, il était impensable de compter le nombre total de météores visibles à tout moment. J’ai donc estimé le nombre de météores émis chaque seconde dans une zone déterminée de dimensions connues, puis j’ai effectué les corrections géométriques appropriées… Mon évaluation comporte peut-être une certaine marge d’erreur, mais je suis certain que la fréquence des météores ne peut pas être aussi basse (quatre par seconde) que le suggère Jenniskens. » En 1969, les Léonides eurent un nouveau sursaut d’activité inattendu : au nord-est des États-Unis, on en compta environ 240 par heure.
L’apparition de la tempête de 1966, après deux rendez-vous manqués, a naturellement suscité de nouveaux espoirs quant au passage de la comète Tempel-Tuttle en 1998. Verrait-on quelque chose? Et qui serait le mieux placé? À nouveau les Américains? Les Japonais? Les Européens? Difficile de le savoir. Voici les prévisions que l’on a faites.
Précisons tout d’abord que l’activité des Léonides s’accroît dans la période de six à sept ans qui précède et qui suit le passage au périhélie de la comète Tempel-Tuttle. Ces dernières années, leur ZHR n’a cessé d’augmenter, comme pour annoncer une tempête imminente. Après 1969, le ZHR des Léonides s’est stabilisé autour de 15, et ce jusqu’en 1991, où il est monté à 35. En 1992, les observations ont été perturbées par la Lune qui, sans être très lumineuse (en phase de dernier quartier), se trouvait cependant très près du radiant, à environ 15°. Mais, en 1993, on a enregistré de nouveau un ZHR de 35. En 1994 et 1995, ce taux s’élevait respectivement à 70 et à 80, pour atteindre près de 100 en 1996, égalant à peu près le taux d’activité des Perséides, Géminides et Quadrandides.
Cette même année, on a aussi aperçu de très nombreux bolides laissant des traînées persistantes. L’un d’eux, aussi lumineux que la pleine lune, a laissé une trace pendant 6 minutes. Un autre a marqué le ciel d’une traînée lumineuse qui a duré 10 minutes! Cette activité était plutôt de bon augure, en ce sens où elle reproduisait le scénario de 1961, cinq ans avant la tempête de 1966 (mais il faut savoir qu’une telle situation a été observée en 1930, sans être pour autant suivie d’une tempête à la hauteur de ce prélude…).
En 1981, Donald Yeomans a analysé en détail les enregistrements de l’activité des Léo nides dans le passé et en a tiré une carte de la distribution des poussières autour de la comète. Il a ainsi pu déduire les conditions les plus propices à l’apparition d’une tempête. Nous avons déjà précisé que cet essaim est observé depuis 902. Toutefois, pendant cette période de plus de mille ans, les averses météoriques n’ont pas toujours eu l’intensité d’une tempête. Selon Yeomans, pour qu’il y ait tempête, il faut que la Terre passe à travers la partie de l’essaim située derrière et à l’extérieur de l’orbite de la comète, de manière à entrer en collision avec les poussières qui sont éjectées sous l’effet du vent solaire.
En effet, entre 1266 et 1499, aucune pluie spectaculaire n’est survenue (sauf une fois, en 1366) lorsque la Terre a croisé les poussières situées à l’intérieur de l’orbite; alors qu’à partir de 1666, depuis que la « configuration géométrique » de la collision est plus proche de celle évoquée ci- dessus, on a observé de nombreuses averses grandioses. En 1998 et 1999, cette configuration sera la même, comme ce fut du reste le cas en 1833, 1866 et 1966.
Toutefois, ces conditions géométriques ne sont pas suffisantes : en effet, alors que celles-ci étaient également réunies en 1900-1901 et en 1931-1932, l’activité météorique fut inférieure aux prévisions. Par ailleurs, en 1799, la Terre croisa l’orbite de l’essaim devant celle de la comète et l’on assista à une pluie spectaculaire, Selon Yeomans, cette activité irrégulière des Léonides s’explique assez facilement : les poussières sont distribuées autour de la comète en nuages irréguliers plus ou moins denses, qui sont en outre parfois perturbés par d’autres éjections de poussières de la surface du noyau cométaire. Une averse abondante ne peut avoir lieu que si la Terre croise l’un des nuages les plus denses. De plus, ces nuages étant de petite dimension, il ne faut pas plus d’une heure ou deux au maximum à la Terre pour en traverser un. En 1966, par exemple, la Terre a croisé en une heure un nuage de 35000 km d’épaisseur. En conséquence, si une pluie d’étoiles filantes est visible à tel ou tel endroit, elle ne le sera pas forcément à tel autre. Cela est encore plus vrai pour les Léonides. En effet, le 17 novembre, date du maximum, le radiant n’est visible dans de bonnes conditions qu’à partir de 1 heure du matin, ce qui ne laisse que quatre heures et demie avant le crépuscule pour observer une éventuelle averse.
Malheureusement, la Terre va passer à une plus grande distance de l’essaim que lors des grandes averses qui ont eu lieu au cours des deux derniers siècles. En 1799, cette distance était de 480000 km, en 1833 de 180000 km, en 1866 de 970000 km et en 1966 de 460000 km. En 1998 et 1999, elle sera de 1120000 km. Toutefois, en 1932, la Terre est passée à la même distance de l’essaim qu’en 1866 sans qu’aucune pluie météorique ne soit observée, ce qui montre bien que ce paramètre n’est pas non plus à lui seul décisif.
Pour tenter de prévoir les heures auxquelles une grande tempête pourrait survenir en 1999, Yeomans s’est placé dans l’hypothèse où la traînée de poussières des Léonides serait située dans le plan de la comète Tempel-Tuttle et où celle-ci passerait au périhélie le 27 février 1998 (retrouvée en mars 1997, la comète est passée au périhélie le 28 février 1998, confirmant ainsi ses prévisions à un jour près). Yeomans a donc essayé de calculer le moment auquel la Terre traverserait le plan du nuage poussiéreux, autrement dit le plan orbital de la comète. Prévue pour débuter vers 20 h 45, heure française, la tempête tant attendue du 17 novembre 1998 ne s’est pas produite. En effet, le ZHR ne variait qu’entre 250 et 500. Et c’était sans compter sur le caractère facétieux des Léonides qui ont tout de même offert un certain spectacle… mais avec une avance de 16 heures sur le maximum prévu par les spécialistes !
Le continent asiatique était très bien placé, chose rare puisqu’au cours des deux derniers siècles les tempêtes des Léonides n’ont jamais été visibles en Asie, le Lion étant au-dessous de l’horizon pendant ces nuits-là. Le ciel, juste avant la nouvelle lune, était très propice aux observations.
En 1999, la Terre passera sur le nœud le 18 novembre à 2 h 50, soit 622 jours après le passage de la comète (à titre de comparaison, en 1966, notre planète y est passée seulement 561 jours après). Si la collision avec le nuage cométaire se produit alors, le Lion sera situé dans une position idéale dans le firmament européen. La Lune sera assez brillante, en phase de premier quartier depuis deux jours, mais elle se couchera vers 1 heure, laissant le ciel parfaitement sombre avant le début du spectacle prévu.
Il n’est pas exclu que la tempête ait lieu en 2000, mais cela est peu probable, car la Terre serait alors trop loin de Tempel-Tuttle (qui serait passée sur le nœud 987 jours plus tôt). Quoi qu’il en soit, le passage de notre planète sur le nœud devrait avoir lieu le 17 novembre à 9 h 05, heure française, privilégiant ainsi la côte est des États-Unis, l’Amérique du Sud et l’Atlantique. Toutefois, la Lune sera très mal placée : en phase de dernier quartier, elle se lèvera vers 22h30, heure locale, et restera dans le ciel pendant tout le reste de la nuit, à seulement une vingtaine de degrés du radiant.
Bien que plausible, cette hypothèse a toutefois peu de chances de se réaliser. En fait, il est même probable que les Léonides se seront légèrement déplacées par rapport au plan orbital de la comète Tempel-Tuttle, auquel cas le maximum pourrait être anticipé ou retardé de quelques heures. Ainsi, pour prendre un exemple récent, le maximum de 1965 s’est produit avec treize heures d’avance, la tempête de 1966 a eu lieu avec une heure de retard et la pluie de 1969 avec quatre heures de retard.
Par conséquent, les prévisions portant sur l’heure des tempêtes météoriques ne doivent pas être prises à la lettre : pour ne pas risquer de rater un tel événement à quelques heures près, il conviendrait même de rester aux aguets pendant toute la nuit, y compris avant que le radiant ne se lève, car les météores allant vers l’ouest seront visibles avant même que le Lion n’apparaisse au-dessus de l’horizon, comme ce fut le cas en 1866.
Il est clair que nous pourrions fort bien n’assis¬ter à aucune tempête. Mais cela vaudra quand même la peine d’observer le ciel pendant ces nuits-là : dans le pire des cas, les Léonides produiront de toute façon plus d’étoiles filantes, en cette fin de millénaire, que tout autre essaim; mais, dans le meilleur des cas, les spectateurs de cette nuit fabuleuse vivront une expérience unique. Il serait dommage de laisser passer une telle occasion, qui ne s’est pas présentée depuis trente ans. D’autant que, selon les calculs de Marsden, Yeomans et Gareth Williams du Minor Planet Center, la comète Tempel-Tuttle, deux ans avant son prochain passage au périhélie, qui aura lieu en 2031, subira l’influence gravitationnelle de
Jupiter, de sorte que son orbite s’éloignera à 2420 000 km de celle de la Terre, comme ce fut le cas avant la célèbre pluie manquée de 1899. En 2031, les Léonides ne donneront donc lieu à aucune tempête météorique. La situation sera sans doute assez semblable en 2065, lors du passage suivant de la comète au périhélie, car celle-ci se trouvera alors à 2 185 000 km de l’or¬bite terrestre. Or, dans le passé, les pluies météoriques n’ont eu lieu que lorsque la comète était passée entre 2,2 millions de kilomètres (à l’intérieur) et 1,5 million de kilo¬mètres (à l’extérieur) de l’orbite terrestre. En somme, il faudra attendre encore un siècle avant que l’activité des Léonides soit de nouveau observable de la Terre, c’est-à-dire en 2098, quand l’essaim ne sera plus qu’à 925 000 km de notre planète.
Rappelons que les Léonides sont très spectaculaires, car, comme l’indique le tableau page 88, elles sont très rapides. Elles se déplacent même à la vitesse maximale théorique d’un corps qui entre en collision avec la Terre, soit 72 km par seconde. Elles gravitent en effet autour du Soleil sur une orbite rétrograde : leur impact avec la Terre est donc presque frontal, donnant lieu à des météores brillants, rapides et colorés (bleus, verts, blancs) qui laissent des traînées persistant parfois, comme nous l’avons vu, pendant plusieurs minutes. Observées juste après le lever du radiant, les Léonides laissent souvent de très longues traces dans le ciel.
Il est très facile de trouver le radiant des Léonides : il est situé à l’intérieur de la faucille caractéristique du Lion. Pour repérer cette constellation, on part de la Grande Ourse. La ligne reliant les deux dernières étoiles du Grand Chariot (alpha et bêta), prolongée de 7 ou 8 fois sa longueur (dans la direction opposée à l’étoile Polaire), arrive au centre de la constellation.
En prolongeant la ligne reliant les deux autres étoiles du Grand Chariot (gamma et delta), on atteint Régulus, l’étoile la plus brillante de la faucille. Inutile, toutefois, de se lancer dans cet exercice avant minuit, à la mi-novembre, car le Lion ne sera pas encore complètement levé. Vers 2 heures, en revanche, le repérage sera assez facile : la Grande Ourse sera alors basse au-dessus de l’horizon nord-est, tandis que le Lion se trouvera juste au-dessus du point cardinal Est. Le radiant atteindra sa hauteur maximale juste avant l’aube, vers 5h30.
Vidéo : L’heure des Léonides, essaim tumultueux
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : L’heure des Léonides, essaim tumultueux