Les larmes de feu
Comptant parmi les essaims météoriques les plus connus, les Perséides, comme nous l’avons vu, n’ont jamais donné lieu à des averses spectaculaires : la véritable tempête d’étoiles filantes des Perséides qui était attendue en août 1993, conformément aux calculs des astrophysiciens, ne s’est en fait jamais produite. Le fait est que l’explication donnée plus haut à propos de la distribution des particules cosmiques donnant naissance aux essaims météoriques est un peu trop succincte, notamment dans le cas des Perséides. Ces dernières années, depuis 1988, le pic d’activité principal de cet essaim s’est accompagné d’un pic secondaire, qui se produit quelques heures plus tôt et dont le maximum a même été récemment supérieur au pic primaire. En 1991, notamment, des observateurs japonais ont enregistré un taux de plus de 450 météores de l’heure. De même, en 1992, malgré la perturbation due à la présence de la pleine lune dans un ciel nuageux, on a observé en Asie un pic d’activité d’une telle intensité que, pendant de courts instants, le taux horaire zénithal s’est élevé à 8 000! De plus, la plupart de ces météores étaient plus brillants qu’à l’accoutumée : certains d’entre eux, presque aussi lumineux que la Lune, présentaient des traînées persistantes, se fragmentaient ou explosaient, tout en ayant tendance à jaillir en groupe.
On attribua ce nouveau pic à la présence d’une épaisse tramée de météoroïdes récemment éjectés de la comète : cela était confirmé par le plus grand nombre d’étoiles filantes, mais surtout par la plus grande taille des débris, qui étaient à l’origine des bolides. En effet, lors de la fragmentation de la comète-mère, des blocs assez gros se détachent en même temps que des poussières, et ils ne se fragmentent que très lentement, sous l’action des collisions réciproques, du vent solaire et des contractions et expansions thermiques dues à la variation continue de leur distance par rapport au Soleil.
Dans la mesure où ces particules, venant d’être éjectées du noyau de la comète, ne pouvaient pas s’en être beaucoup éloignées, il était clair que la comète n’était pas loin et s’apprêtait sans doute à repasser. C’est en effet ce qui se produisit. La comète Swift-Tuttle fut toutefois un peu en retard, car, à l’époque de sa découverte, vers 1862, on pensait que sa période était de 120 ans. Elle aurait donc dû repasser dans les années 1980 (et ce retour de la comète semblait confirmé par la soudaine augmentation de l’activité des Perséides observée en août 1980, avec un taux horaire zénithal d’environ 200).
Mais, selon Marsden, il n’était pas exclu que les calculs précédents soient erronés et, de toute façon, l’orbite de la comète avait sûrement été modifiée par suite d’un effet fusée colossal. Cet effet est dû aux violents jets de poussières et de gaz qu’émettent les comètes les plus actives lorsqu’elles passent à proximité du Soleil, et qui ont pour conséquence de ralentir ou d’accélérer le corps céleste, en allongeant ou en diminuant sa période. Marsden émit donc l’hypothèse d’une période d’environ 130 ans, présentant toutefois de grandes variations d’un passage à l’autre en raison de l’effet évoqué ci- dessus : selon ses calculs, le passage au périhélie devait se faire le 25 novembre 1992. Le 26 septembre de cette même année, le chasseur de comètes japonais Kiuchi retrouva la comète, qui passa au périhélie le 12 décembre, venant confirmer, à quelques jours près, les prévisions de Marsden.
Ces éléments étaient-ils suffisants pour justifier la prévision d’une tempête météorique en 1993? Certainement pas. Le souvenir des événements de 1862, date du précédent passage de la comète Swift-Tuttle, était là pour en témoigner. En 1861 et 1862, on nota une augmentation considérable de l’activité des Perséides en Extrême-Orient. Le 10 août 1863, on fit plusieurs observations similaires dans les pays occidentaux. Dans le Connecticut, H. A. Newton, assisté de six observateurs, vit 153 météores en une demi-heure malgré la présence gênante de la Lune. En Allemagne, Eduard Heis, célèbre spécialiste des météores, a écrit qu’à un certain moment il était devenu impossible de compter les étoiles filantes les plus faibles, car les plus brillantes atteignaient à elles seules un taux horaire de 166. À Rome, l’astronome Caterina Scarpellini dénombra 197 météores au cours de la nuit, mais reconnut elle aussi ne pas avoir pris en compte les plus faibles, trop nombreux pour être comptés. Julius Schmidt, directeur de l’observatoire d’Athènes, en voyage dans la mer Ionienne, estima qu’il en tombait 113 de l’heure et observa également plusieurs bolides particulièrement lumineux.
En somme, si l’on fait abstraction des rapports évoquant de façon assez imprécise le nombre élevé des chutes d’étoiles filantes, celles-ci atteignirent un taux horaire maximal compris entre 200 (en Europe) et 300 (aux États-Unis), c’est-à-dire environ trois ou quatre fois supérieur au taux normal. Ces chiffres étaient loin d’être négligeables, certes, mais n’étaient toutefois en rien comparables aux taux observés lors d’une véritable tempête météorique.
En 1993, toutefois, la situation était encore différente. Selon Joe Rao, grand spécialiste américain des météores, la traînée de poussières récemment éjectée du noyau de Swift-Tuttle, qui avait commencé à raviver l’activité estivale des larmes de saint Laurent en 1991 et 1992, n’avait encore jamais croisé la Terre. En effet, l’orbite de la comète a subi une déformation progressive du fait des perturbations planétaires. Ainsi, en 1993, l’orbite de Swift-Tuttle et celle de la Terre n’étaient séparées que par 140000 km, tandis que cette distance s’élevait à 750000 km au siècle dernier et à trois millions et demi de kilomètres au XVIII siècle.
Vers 1737 (date d’un précédent passage de Swift-Tuttle), la Terre était très loin de l’orbite de la comète et donc de la traînée en question – qui, à cette époque, venait sans doute d’être éjectée, de sorte que l’on n’observa aucun phénomène particulier; vers 1862, en revanche, la Terre frôla la traînée et l’on constata l’augmentation d’activité évoquée plus haut. En 1991 et 1992, la Terre commença à pénétrer dans la traînée, et en 1993, alors que la Terre se trouvait au cœur de celle-ci, un spectacle exceptionnel aurait pu se produire. D’autant que, par rapport à 1862, au moment du croisement entre la Terre et l’orbite cométaire, notre planète se trouvait plus près du noyau de la comète et donc plus près d’une zone contenant a priori beaucoup de poussières; ajoutons à cela que Swift-Tuttle émet une grande quantité de poussières à chacun de ses passages à proximité du Soleil (comme l’atteste l’intensité de l’effet fusée auquel elle est soumise).
Mais là encore, est-ce que tous ces facteurs étaient suffisants pour pronostiquer une tempête météorique? La réponse est non. Rao et les autres astronomes n’avaient d’ailleurs émis que des hypothèses à ce sujet. Certes, il y avait de grandes chances pour que survienne une pluie semblable à celle de 1863. Selon les calculs de Rao, le pic devait se produire le 12 août, à 1 h 15 du matin TU, soit à 3 h 15 en France, une heure qui favorisait les observateurs européens mais ne permettait pas aux Nord-Américains et aux Asiatiques de l’observer. Le phénomène devait durer une heure ou deux au maximum. Voici la relation de cette nuit du 11 au 12 août, quand, après avoir fait admirer les merveilles du firmament à environ 3 000 personnes réunies au sommet du mont Avena (Italie), à 1454 m, mes collègues de l’Association astronomique Feltrina Rheticus et moi- même restèrent, avec une poignée d’irréductibles, pour assister à l’explosion du feu d’artifice, prévu après minuit.
En fin de journée, la voûte étoilée était assez peu propice à l’observation en raison d’un voile de condensation qui, fort heureusement, se dissipa vers 21 h45, dès la tombée de la nuit. Le ciel se dégagea alors progressivement, à mesure que l’humidité se déposait sur le sol. Dès lors, plusieurs étoiles filantes commencèrent à sillonner le firmament, et de véritables bolides, extrêmement lumineux, déclenchèrent un tonnerre d’applaudissements et d’acclamations enthousiastes. À 22 h 30, alors que le radiant se trouvait déjà assez haut dans la constellation de Persée, les chutes d’étoiles filantes se multiplièrent, augurant une superbe apothéose. Mais une heure plus tard, il fallut se rendre à l’évidence : alors même que le ciel était de plus en plus limpide, l’activité de l’essaim avait cessé d’augmenter et semblait même diminuer.
À minuit, le ciel se couvrit brusquement. Le public attendit alors patiemment, une demi-heure, une heure, une heure et quart. Soudain, un frémissement de peur traversa l’assemblée : à travers les nuages, une lueur livide, de dimensions gigantesques, nous laissa bouche bée. Il devait s’agir d’un bolide au moins aussi brillant que la pleine lune! Nous en eûmes la confirmation le lendemain, grâce aux observateurs qui avaient pu l’admirer dans un ciel dégagé dans d’autres régions.
À 1 heure et demie du matin, gagnés par la fatigue et le sommeil, la plupart des gens rentrèrent chez eux. Ils devaient le regretter. À 2 heures, l’humidité recommença à se déposer sur le sol et laissa le ciel encore plus dégagé qu’auparavant. La Lune s’était levée depuis une heure et demie, et sa clarté, peu après la phase du dernier quartier, perturba les observations de façon non négligeable. Mais le radiant se trouvait de toute façon assez loin de notre satellite, et il était à présent très haut.
À 2 heures et demie, le site d’observation était jonché de télescopes, mais il ne restait pratiquement plus personne, à l’exception d’une dizaine de spectateurs hébétés, qui contemplaient la voûte céleste dans ce paysage féerique, certains debout, d’autres assis sur l’étui de leur télescope, d’autres encore allongés sur une couverture ou un sac de couchage. Mais leur persévérance fut récompensée, car Rao avait vu juste, y compris sur l’heure. Les traînées météoriques se multiplièrent, devinrent plus lumineuses, et l’on aperçut même plusieurs bolides. Alors qu’au cours des heures précédentes on pouvait voir environ un météore par minute, il en surgit ensuite deux, puis trois, puis cinq. À 3 h 05, nous décidâmes de les compter à plusieurs (à trois, puis à cinq), mais uniquement pendant de courts laps de temps : étant trop fatigués pour nous lancer dans des calculs prolongés, nous nous limitions à des périodes de cinq minutes. Au cours de l’une de ces périodes, nous avons dénombré 25 étoiles filantes en 3 minutes et 40 secondes, soit environ sept à la minute, un bon score. Nous avons cessé de compter peu après le crépuscule matinal, à 4 h 25, alors que la pluie semblait diminuer d’intensité : nous en avons relevé 112, mais aperçu au moins 500 en deux heures. Nous étions heureux : ce n’était pas une tempête, mais aucun d’entre nous n’avait encore jamais assisté à un spectacle aussi fabuleux. Si l’on s’en tient aux données regroupées à l’échelle mondiale par l’international Meteor Organization (IMO), qui a analysé des centaines de rapports d’observation, le taux horaire zénithal (ZHR) maximal aurait été relevé à 3h30 (TU), soit 5h30 chez nous, en Italie, alors qu’il faisait déjà presque jour, atteignant un pic de 300 météores de l’heure. Cela signifie que les observateurs les plus chanceux ont pu voir, dans un ciel dégagé, environ 150 météores de l’heure. Une situation en somme très semblable au scénario des années 1860. Nous avons, pour notre part, enregistré un ZHR maximal nettement supérieur (environ 750) vers 1 h 45 TU (3 h 45 chez nous, à l’heure d’été).
Ce nombre est toutefois faussé, car nos séances d’observation ne duraient pas plus de cinq minutes (même si nous avions l’impression qu’il tombait plutôt plus de météores lorsque nous cessions de compter) ; en outre, le comptage, pour le calcul du ZHR, doit être effectué par un même observateur, alors que nous étions en groupe. Ajoutons toutefois que nos collègues de l’Association des astronomes amateurs de Vicence, qui, eux, ont observé le ciel de façon continue pendant toute la nuit, ont confirmé nos résultats. Dans la nuit du 11 au 12 août, entre 22 heures et 2 h 45 du matin, le taux horaire s’est maintenu autour de 60 à 70 météores. De 2h45 à4hl5, on a dénombré 321 météores, soit un taux horaire de 214. Nos collègues ont eux aussi constaté une diminution des étoiles filantes après 4 h 15 (39 en un quart d’heure), comme si l’activité de l’essaim ralentissait. Leurs observations s’étant déroulées en plaine et sous un ciel moins dégagé que le nôtre, leur ZHR est cependant deux fois supérieur au nôtre (environ mille quatre cents), confirmant notre impression selon laquelle les météores étaient plus nombreux durant les périodes où l’on ne comptait pas.
Quant au problème du nombre d’observateurs participant au comptage, il est difficile de comparer les résultats obtenus par une seule ou par plusieurs personnes. Neil Bone, directeur de la Section Météores de la British Astronomical Association, propose toutefois des facteurs de correction plausibles. En présence de cinq observateurs, il faut multiplier le nombre obtenu par 0,32, et, s’ils sont trois, par 0,41. Si l’on fait une moyenne, notre ZHR s’élève alors à 270 environ, ce qui correspond aux chiffres de l’IMO, mais le ZHR obtenu à Vicence, certainement plus fiable, reste nettement supérieur (environ 500). Et en fait, les données recueillies par la Section Météores de l’UAI sur l’ensemble du territoire italien donnent un ZHR compris entre 500 et 600.
Les années suivantes, l’activité des Perséides est restée supérieure à la normale, sans être exceptionnelle : le ZHR s’est élevé à 250 en 1994, à 160 en 1995 et à 155 en 1996. Actuellement, il semble que le maximum secondaire ne se produise plus. Toutefois, le maximum primaire des Perséides, observé en général dans la nuit du 12 au 13 août, est habituellement très régulier, tout comme ceux des Quadrantides et des Géminides. Cet essaim est le seul à être connu du grand public, en raison notamment de son activité estivale, au point que bien des gens sont persuadés que l’on ne peut voir des étoiles filantes qu’au mois d’août.
Le radiant des Perséides se trouve juste à côte de l’étoile Êta Persée, dans la constellation de Persée, elle-même située à proximité de celle de Cassiopée. On repère cette dernière à partir de la Grande Ourse. Il faut tout d’abord localiser l’étoile polaire : pour cela, on relie les deux dernières étoiles de la Grande Ourse (alpha et bêta) et l’on prolonge cette ligne de cinq fois sa longueur. On relie ensuite la première étoile du Grand Chariot (delta) et l’étoile Polaire, et le prolongement de cette ligne d’une longueur à peu près égale passe près de l’étoile alpha de Cassiopée.
Le jour du maximum des Perséides (la nuit du 12 au 13 août), vers 22h30, la Grande Ourse est basse dans le ciel, au nord-ouest, tandis que Cassiopée est basse au nord-est. Le radiant est très bas et se lève lentement au cours de la nuit. Peu avant le début du crépuscule matinal, vers 4 h 30, il atteint sa hauteur maximale, à environ 10° du zénith. En général, l’activité de l’essaim métérorique dure environ trois jours, du 10 au 13 août, durant lesquels on observe un ZHR de 40 à 50 qui double pendant quelques heures au moment du maximum. Le déclin de l’activité après le maximum est plus rapide que l’augmentation qui le précède. Du fait de leur vitesse élevée, un grand nombre de Perséides sont très brillantes et laissent des tramées persistantes fort appréciées des photographes.
Vidéo : Les larmes de feu
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